Jean-Philippe Grosperrin
Diapason, France

"Belle fortune pour un royaume qu'un berger sur le trône": Alexandre le Grand tire ainsi la conclusion éclairée de cet opéra de cour qui rassemble une pastorale raffinée, avec quiproquos et amours contrariées; et une parabole politique: Tout en recelant un (trop) fameux rondo de tendresse pour soprano et violon obligé, ce Roi pasteur composé par Mozart pour Salzbourg n'en est pas moins malaisé à défendre faute des vertiges de l'opéra seria. La présente version propose des récitatifs complets et très vivants, qui donnent toute leur importance aux rencontres d'Alessandro et du jeune berger Aminta. Son "Aer tranquillo" conclut ici leur premier dialogue, sans le beau récitatif accompagné qu'on a coutume d'y joindre, et qui procède manifestement d'un remaniement de l'air pour une exécution en concert—on le trouvera complet en appendice du premier CD.

L'interprétation pose à nouveau la question des choix esthétiques de Ian Page, déjà remarqués dans les volumes précédents de sa vaste série Mozart: le soin philologique se combine à une animation souvent univoque, parfois prosaïque ou machinale dans ses phrasés, et trop indifférente aux dégradés poétiques "Aer tranquillo" fait par exemple entendre des ponctuations agressives aux hautbois et un jeu trop extérieur pour un air qui forme aussi un médaillon de la rêverie pastorale: comparez avec l'enregristrement dirigé par Nikolaus Harnoncourt, pourtant enclin aux contrastes. Les airs si touchants de la bergère Elisa pâtissent également, entre autres, d'une certaine crudité orchestrale. Ailish Tynan, certes déliée et volontaire, manque de limpidité et du sentiment naïf que sait y répondre une Sandrine Piau. Autrement éloquente et ajustée au caractère paraît Sarah Fox dans le rôle-titre, un peu anonyme de timbre mais véloce. Alors qu'on choisit souvent pour Tamiri (peu favorisée par Mozart) une voix plus charnue, le soprano clair d'Anna Devin se signale par sa fermeté, son intelligence, sa distinction. Benjamin Hulett se montre convenable dans le rôle ingrat d'Agenore. Mais John Mark Aisnley n'a guère son pareil pour incarner—d'une parole, d'une phrase—la figure du héros magnanime. On peut bien désirer un ténor plus épanoui, moins serré parfois ("Si spande"), ou plus de plénitude dans la colorature, cet artiste impose la dignité d'un prince ("Se vicendo"). Pour lui au moins, cette version sans disgrâce vocale vaut d'être entendue.