Patrick Szersnovicz
Diapason, France
avril 2015

Le couplage est habile et la réussite assez impressionnante pour prendre une place de choix dans la discographie déjà fort bien servie des deux œuvres. Le vaste Quatuor nº 2 (1944) en la majeur, composé dans la foulée du dramatique Trio avec piano nº 2; est d'une étoffe particulièrement coriace. L'exposition partagée entre forte ou fortissimo donne le ton, et la puissance magnifique, beethovénienne, du développement, relègue à plus de deux cent quarante mesures la réexposition. Avec une sonorité généreuse, des timbres fruités, une précision d'archet enthousiasmante (et d'une prise de son flatteuse), le Quatuor Takács laisse loin derrière tous ses concurrents, excepté la première version, violente et incisive, du Quatuor Borodine (Chandos). Premier exemple dans les quatuors de Chostakovitch de récitatif instrumental, le deuxième mouvement voit ses longs passages déclamatoires exaltés par la pleine lumière et la beauté fragile des phrasés. La Valse du scherzo qui donne la parole au violoncelle, est agitée, à la fois âpre et voluptueuse, tandis que, dans les variations du finale, sans parvenir à la tension abrupte des Borodine, mais en proposant tout autre chose, les Takács créent un sentiment de croissante exultation.

Au Folles Journées nantaises, lors d'une écoute à l'aveugle du Quintette avec piano, c'est la version de Koroliov avec les Pražák qui nous avait laissés pantois, et qui avait fait l'unanimité (Praga Digitals, Diapason d'or de l'année 2010). Comme il aurait été intéressant de joindre dans la comparaison la version aux antipodes des Takács et Marc-André Hamelin! Plus lumineuse, moins sévère, elle n'est pas moins intériorisée, lourde, sous son extrême transparence, de grandes interrogations. Dès le Prélude et l'ample fugue initiale Adagio le jeu du pianiste, sans cesse en éveil mais traversé d'une profonde énergie, offre une vision fouillée dans le détail et au lyrisme très personnel. L'hommage à Bach du début nous fait pénétrer dans un univers riche et neuf, où l'ironie douce-amère comme le bref geste iconoclaste (scherzo) ne pèsent jamais trop. Clavier et cordes, ici d'un grain rare, se fondent en une architecture complexe où la charge émotionnelle devient de plus en plus intense tout en se mariant à une texture d'ensemble comme allégée. Ni l'atmosphère méditative de l'Intermezzo, ni la détente faussement réjouie du finale ne viennent rompre cette captivante concentration.