La sublime Sonata XX de Giovanni Gabrieli clôt l’office. Écrite pour vingt-deux instruments et basse continue, jouant en cinq chœurs séparés, cette pièce est l’œuvre instrumentale à plus grande échelle du compositeur qui montre, dans le traitement du grand ensemble, sa totale maîtrise de cette forme. Chaque chœur est introduit séparément et possède son caractère propre: le chœur d’ouverture à six parties recèle ainsi une solennité calme, avec une mélodie ascendante doucement pointée et un motif descendant contrasté, comprenant des paires de notes adjacentes. Le deuxième chœur entre avec le traditionnel rythme de canzone dactylique (longue–brève–brève). Au troisième chœur, constitué d’instruments accordés à un diapason inférieur—ici, quatre saqueboutes (Gabrieli ne spécifie l’instrumentation que pour trois des lignes instrumentales)—, succède un quatrième chœur, d’instrumentation plus légère, dont le style et la tessiture font écho à ceux du deuxième. Le cinquième chœur est traité tout à fait différemment, avec une écriture plus animée, plus active—bien adaptée aux instruments à cordes. Le premier tutti, somptueux, ne survient qu’au bout de quelques minutes, d’abord doucement, «comme jaugeant les eaux», puis, quelques mesures plus tard, avec davantage d’emphase. Gabrieli passe ensuite à une section moins formelle, avec des combinaisons variées, réunissant parfois les cinq chœurs. La durée de ces dialogues s’accourcit et soudain, comme incapable d’attendre plus longtemps, une saqueboute aiguë se dégage dans un rythme furieusement exultant, jazzy. Voilà l’excuse que tout l’ensemble attendait manifestement: les forces combinées décochent un puissant bloc acoustique. Mais Gabrieli ne décharge pas tout son canon; revenant à une brève section de dialogue interchoral, le chœur de cordes bifurque ensuite, avec une section merveilleusement exploratoire, de couleur sombre, dans un mètre ternaire nouvellement découvert. Tout est finalement ramené au mètre binaire antérieur, conventionnel, mais les graines ont été semées et chaque chœur adopte le nouveau mètre ternaire, élégamment équilibré, avant d’aboutir à un apogée inéluctable. Puis, une pause pour tous les instruments vient mieux accentuer l’extraordinaire puissance des forces combinées dans un autre pilier sonore monumental et, à mesure que la sonate tend vers sa conclusion, chaque instrument célèbre à tour de rôle l’événement avec sa propre fanfare, achevant l’une des pièces instrumentales les plus remarquables de l’époque.
extrait des notes rédigées par Robert King © 1998
Français: Hypérion