Gérard Condé
Diapason, France
juin 2016

Neuf ans se sont écoulés depuis la dernière parution notable d'un enregistrement du Quintette avec piano de César Franck par l'Ensemble Syntonia. N'importe, on n'a rien perdu pour attendre. À cette œuvre ardente, où souffle le vent d'une fièvre passionnée, lumineuse et désespérée à la fois, il faut des interprètes d’exception. Sous les doigts de Marc-André Hamelin, acier ganté de velours, le piano, rêve, soupire, rugit à la folie (la fin du premier nouement est ahurissante).

Les archets des Takács le suivent, l’enveloppent ou le provoquent avec ces mêmes qualités excessives et suffisantes. Certes c’est le privilège des cordes de pouvoir moduler le son à l’infini tandis qu’avec des marteaux au bout des phalanges…. Mais aux limites, nul n’est tenu et les voilà franchies.

Debussy jugeait le Quintette en fa mineur de Franck trop constamment exalté. Et voilà qu’avec l’énergie des Takács, son Quatuor en sol mineur s’inscrit dans la continuité. Expliquons-nous. L’énergie ? Non pas celle militaire et dévastatrice, des croque-notes qui bourrinent pour passer la rampe, mais la force vitale de quatre artistes bien différents allant dans la même direction, chacun à sa façon. Ainsi quand ils ont (à peu près) la même chose à jouer, ils ne s’imitent pas (on entend rarement aujourd’hui des vibratos si peu unifiés !): ils s’affirment. Toujours en tension pour se rejoindre là où il faut—et pas juste parce que c’est écrit—, ils convergent sans perdre leur individualité. Il en résulte une multitude d’intentions et d’attentions spécifiques qui font palpiter les plages en suspension, ôtent toute raideur aux piliers verticaux, augmentent la lisibilité de la polyphonie.

Au bout du compte, une interprétation engagée, très incarnée de cette œuvre atypique où Debussy laisse échapper des élans de passion qui, comme à la fin de l’acte IV de Pelléas, rompent avec sa réserve habituelle. Quiconque s’entendrait reprocher: «mais tu l’as déjà…» pourra répondre «oui mais pas comme ça !»