Martine Mergeay
Diapason, France
février 2016

Leo Ornstein aurait ceci de commun avec Rachmaninov—en plus d'être russe et surdoué—qu'il a toujours voulu suivre ce que lui dictait sa sensibilité. Mais à l'inverse de son compatriote, il a voulu tout explorer, en zigzag, avec boulimie, n'hésitant pas à abandonner des pans entiers de sa production dès lors qu'il ne les "sentait" plus… Né en 1893 à Krementhouch dans l'empire russe, reçu en 1904 au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, où il fut l'élève de Glazounov, il fuit les pogroms avec sa famille en 1906, et s'installe à New York. Il y obtient une bourse d'études qui lui permettra de se former à l'Institut of Musical Art (la future Juilliard School) dont il sort auréolé d'une réputation de brillant virtuose et, déjà, de compositeur "promettant de figurer parmi les plus grands" (Waldo Franck). Sa carrière se développera sur les deux fronts mais c'est surtout en tant que pianiste et pédagogue qu'il acquiert sa notoriété, sans doute pénalisé par un parcours à contre-courant des mouvements esthétiques du XXème siècle: après avoir tâté de l'avant-garde dans les années 1920, il décide de ne plus suivre que ce qui lui dictait son inspiration, essentiellement postromantique…

Les deux œuvres au programme appartiennent à sa veine ultramoderniste, donc elles signent la conclusion. Le Quintette avec piano op. 92 (1927) surprend par son caractère emporté, pressant, émotionnel, et par l'abondance des références qui s'y bousculent. L'Allegro barbaro initial pourrait être un hommage à Bartók mais il fait avant tout songer à un Stravinsky en frac, enrobé dans les envolées (ou les déferlements) du clavier. L'Andante lamentoso s'ouvre dans un climat de mystère et de désolation, accédant ensuite à un lyrisme très personnel, dansant, oriental, reflet des origines juives du compositeur. Puis l'Allegro agitato conclusif renoue avec l'atmosphère du premier mouvement, mêlant curieusement des accents alla Bartók et une suavité pré-hollywoodienne.

Cet enregistrement pour Hyperion est l'aboutissement d'une série de concerts du Pacifica Quartet avec le Canadien Marc-André Hamelin. Ils en livrent une interprétation parfaitement rodée, bénéficiant de la virtuosité insolente d'un pianiste qui s'est fait le champion des musiques oubliées du XXème siècle.

Le Quatuor op. 99 (1929) de forme plus sobre mais d'une force expressive au moins équivalente à celle du quintette, valorise les sonorités fines et ductiles de la formation américaine ; sa cohésion et les qualités individuelles de ses membres. On découvre une page frémissante et dense, où, jusque dans le perpetuum mobile final; la nostalgie est omniprésente.