Alain Lompech
Diapason, France
décembre 2015

Trois œuvres concertantes réunies pour le meilleur par Denis Matsuev et Valery Gergiev, trois étapes du modernisme russe. Confrontation habile, qui a l'avantage de ne pas faire paraître Stravinsky plus radical que Rachmaninov et Chédrine: son Capriccio, créé en Union soviétique par Tatiana Nikolaïeva en présence du compositeur, apparait comme une pièce aimable, souriante même, moins soucieuse de performance physique que de jeux rythmiques et acoustiques. Matsuev y montre une verve et une grâce de chat aussi irrésistibles que sa pulsation est souple.

Il se métamorphose en tigre pour le Concerto nº 1 de Rachmaninov, pièce qu'il domine avec une aisance aussi déconcertante qu'Arcadi Volodos (Sony), Nikolay Lugansky (Erato), Simon Trpceski (Onyx), mais sans la nostalgie qu'y insufflait Byron Janis (Decca). On est sidéré par l'art avec lequel le quadragénaire projette l'œuvre, se lance sans aucune appréhension à l'assaut de ses difficultés, sans jamais perdre de vue le lyrisme qui en émane. C'est d'autant plus étonnant que Gergiev, qui ne donne pas toujours, lui non plus, dans la dentelle, est aux aguets et porte son soliste à l'incandescence. Pur bonheur: la prise de son est aussi spacieuse que nette, avec une balance parfaite.

Longtemps connu à l'Ouest pour sa partition de ballet d'après Carmen de Bizet, Rodion Chédrine (né e 1932) est un compositeur et pianiste important de l'URSS. C'est le deuxième de ses six concertos, dédié en 1966 à son épouse la danseuse étoile Maïa Plissetskaïa (1925-2015), que l'on entend ici. La structure assez libre de chaque mouvement est fondée sur une grande virtuosité d'écriture et d'orchestration alliée à une inspiration mélodique qui rend l'œuvre accessible: une sorte de sixième concerto de Prokofiev croisé avec un troisième concerto de Chostakovitch … Le finale réserve même une jolie surprise par son recours au jazz. Matsuev et Gergiev en donnent une interprétation d'un lyrisme, d'une vigueur rythmique, d'une grandeur irrésistibles.